Huitième roman de Valère Staraselski, auteur français reconnu comme l’un des plus grands spécialistes d’Aragon, Sur les toits d’Innsbruck, publié aux éditions Le Cherche Midi, est une oeuvre de fiction assez atypique dans le paysage littéraire actuel : il s’agit en effet d’un livre court, en partie contemplatif, où le lecteur peut de prime abord avoir l’impression qu’il ne se passe pas grand chose de manière concrète. Cependant, sous la surface coule une source vive qui insuffle une énergie et une force véritables au récit, qui n’est pas aussi tranquille qu’on serait tentés de le penser.
Un récit à la forte dimension symbolique
Car le roman de Valère Staraselski oscille constamment entre la frontalité du point de vue et des partis pris politiques de ses personnages, nourris d’indignation et de révolte, et une écriture jouant davantage sur la suggestion, notamment grâce au symbolisme, afin d’irriguer un récit tournant beaucoup autour de la mort, que ce soit celle d’un animal, celle qui joue à cache-cache avec une jeune femme pleine de vie ou bien encore celle qui guette notre société consumériste, régie par le profit au détriment de la nature et de notre équilibre même.
Cette chevrette blessée à mort, venue se réfugier dans une chapelle abandonnée en pleine montagne, et que le jeune couple de randonneurs devra achever, n’est-elle pas le symbole tout à la fois de la nature sacrifiée par l’homme et de ce monde agonisant cherchant désespérément son salut ? Le récit central de la lente agonie de l’animal, dont les souffrances finiront par être abrégées tardivement, est tout sauf anodin et trouve de multiples échos dans le roman, à commencer par la maladie de Katherine Wolf, jeune femme d’une vingtaine d’années qui est déjà passée par un cancer du sein, dont on ignore si elle est totalement remise. La force de l’émotion qui la submerge devant le sort de la chevrette ne prendra ainsi tout son sens que dans le dernier tiers du livre. Difficile aussi de ne pas penser au cancer qui a fini par avoir raison de la compagne de Valère Staraselski au moment même où il achevait ce huitième roman, et qui donne également une connotation particulière à cette partie du récit.
Une nature porteuse d’espoir
La mort rôde dans Sur les toits d’Innsbruck, et ce d’autant plus facilement que les Alpes d’Autriche, où se déroule l’histoire, sont aussi belles que dangereuses avec leurs chemins escarpés. Ici, loin de la ville et sa fureur, l’homme est renvoyé à la fragilité de sa condition et le silence des hauteurs est tour à tour apaisant ou anxiogène. Apaisant lorsqu’il est partagé par l’Allemande Katherine et le Français Louis, réunis dans une communion avec la nature ; anxiogène lorsqu’il est marqué par l’attente et synonyme d’impuissance devant le sort injuste réservé à un animal - un aspect qui, là encore, peut renvoyer aux familles de malades en stade terminal. Pourtant, malgré cette sourde tension qui l’habite d’un bout à l’autre et le nourrit, le récit demeure lumineux, porté par un espoir profond qui meut les personnages en dépit des difficultés qui se présentent à eux. Si la souffrance est latente, elle donne également plus de force à ce jeune couple en leur permettant de mesurer la beauté de cette nature sauvage, qui s’en trouve renforcée à leurs yeux, mais également aux nôtres. Malgré l’immense gâchis de ces vies sacrifiées, d’une situation écologique catastrophique, et d’un climat social et politique à la dérive, des choses valent encore la peine que l’on se batte pour elles.
Cette dimension tout en clair-obscur, aussi subtile que poignante, est l’aspect le plus convaincant de Sur les toits d’Innsbruck, qui est peut-être un brin trop démonstratif dans ses passages les plus expressément politiques. Derrière les monologues passionnés de Louis Chastanier, on reconnaît ainsi assez facilement les prises de position de Valère Staraselski, qui les expose de but en blanc en plein milieu de roman, à travers une longue énumération de griefs contre la société. Si l’on ne peut que le rejoindre sur de nombreux points, la manière de présenter les opinions du personnage est un peu artificielle et mécanique au sein du récit, un peu comme si le héros n’était qu’une extension à peine voilée de l’auteur. Le passage chez les parents de Katherine, tournant autour du communisme et son idéal, est en fin de compte plus subtil à cet égard. Mais Sur les toits d’Innsbruck n’est en fin de compte jamais aussi beau et impétueux que lorsqu’il fait confiance à son récit et parvient à nous faire ressentir ce qui se niche entre les lignes, au sein de cet espace encore intact, en lien avec le sacré, où l’homme peut se perdre et se recueillir pour mieux se retrouver.
Sur les toits d’Innsbruck de Valère Staraselski, le cherche midi, 15 janvier 2015, 144 pages. 12,50€.