Extrait
« Je ne veux plus de toute cette crasse tenace, épaisse et assumée contre la culture et l’art ! De ces dirigeants limités et fiers de l’être ! De ces millions d’haleines chargées de nourriture frelatée ! De ces champs phosphatés jusqu’à ce qu’épuisement et mort de la terre s’ensuivent ! De ces cités où l’air est mangé par les gaz ! De ces visages qui manquent de sommeil. Terriblement de sommeil, le matin dans les trains de banlieue bondée... »
Avis de PrestaPlume
Une bouffée d’air vivifiante ! « Sur les Toits d’Innsbruck » est d’abord un hymne à dame Nature, puis à la cause animale. L’auteur Valère Staraselski se tient au chevet de cette malade qui s’épuise à compenser, à réparer, à digérer les outrages subis. En cause, un drôle d’animal, irrespectueux, court d’esprit et de vue, en quête d’un idéal famélique axé sur un retour sur investissement immédiat et brutal. Cet animal, qui s’est relevé il y a des milliers d’années sur ses deux jambes, est aujourd’hui pris dans un tourbillon collectif de la consommation qui lui fait perdre pied. Mais ce vertige contagieux n’a pas encore troublé le silence des Alpes d’Autriche. Même le temps qui file partout ailleurs vient parfois se perdre dans les cimes alpines, dont 600 dépassent les 3 000 mètres, pour s’y reposer en apesanteur, à l’ombre d’un sapin, et y écouter la symphonie des oiseaux.
C’est lors d’une des suspensions du temps que deux amoureux des montagnes du Tyrol se croisent. Louis Chastanier, expert en bois, est français. Katerine Wolf, première secrétaire d’audience dans un tribunal de Munich, est allemande, elle est née l’année de la chute du mur de Berlin à Leipzig. Les randonneurs décident de partager leur ascension solitaire. Sur le chemin de Goethe, les idées sur la société moderne se libèrent, s’échangent, s’affirment, se tiennent la main, s’évadent du carcan de la timidité pour se faire plus critiques, plus amères face aux catastrophes annoncées écologiques, politiques et économiques. Confessionnal grandeur nature, les toits d’Innsbruck sont le refuge rêvé pour deux âmes sœurs, des randonneurs épris de liberté et de beauté qui semblent s’être retrouvés après une éternité d’absence.
L’histoire d’amour est belle, faite d’évidences et de simplicité. Les personnages sont matures, réfléchis, des convictions au cœur. Le sujet n’est pas l’amour... pas si banal du reste, puisqu’il est sans histoires. L’amour est plutôt une partition sur laquelle se joue la destinée d’un monde qui se désagrège, le divorce pressenti par « Louis Chastanier/Valère Staraselski » entre le capitalisme et la démocratie. La douceur et la paix que dégagent les sentiments des deux protagonistes viennent achopper sur la violence et la destruction mues par des valeurs qui ont épuisé le sujet, et par la même occasion l’environnement.
Avec ce roman qui fleure bon la fable bucolique, notamment lors de la mise à mort généreuse, quasi mystique, de la chevrette agonisante sur le pied de l’autel de la chapelle des Combattants, abri perdu en pleine montagne, Valère Staraselski monte à la tribune des idées qu’il prône depuis ces seize ans, le communisme. Après une première partie centrée sur le thème écologique, le roman glisse avec un peu plus de verve vers l’échange d’idées politiques à l’occasion du repas de famille qui suit l’enterrement de la grand-mère de Katerine. Louis y fait la connaissance du père, un Allemand de l’Est qui n’avait « en dépit de la disparition de l’Allemagne de l’Est nullement renoncé à ses idées communistes de jeunesse ». Le père et Louis sympathisent, partageant le Strudel et la nécessité de repenser le monde... différent, diamétralement différent.
Un roman qui se tient par l’altruisme qui s’en dégage. L’écriture est agréable, poétique, touchante et attachante par la fougue déployée pour convaincre. Mais est-il encore besoin de convaincre ? Les critiques qui jalonnent le roman se fondent sur une réalité que chacun observe déjà. À commencer par la démesure des normes européennes qui freinent au lieu de protéger, par la surconsommation irrépressible, le gâchis, les déchets qui forment une île dans le Pacifique Nord, « la dégueulasserie générale » ou encore la malbouffe qui sort « des usines à mangeaille ». Quant à ces « possédants qui sont possédés par ce qu’ils possèdent », citation de De Gaulle qu’il reprend à son compte, l’actualité politique n’a pas pris une ride ! Qui, parfois, souvent, n’a pas envie « de quitter une France qui ne correspond plus à ses idéaux », comme Louis/Valère ? C’est prêcher des convertis, même dans ce désert d’impuissance ! Car, il s’agit maintenant de questionner l’avenir sur l’incertitude fragile de la Terre. C’est aussi de questionner l’homme dans ce qu’il est et restera, nu et tout aussi friable que le sol qui le (sup)porte. Un livre à découvrir pour le plaisir de l’écriture et de la foi inébranlable de l’auteur pour ses idées... pleine d’humanité !