On ne peut que partager, au mot près, la vigoureuse préface de https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Drachline à l’ouvrage de Valère Staraselski « Un homme inutile ». Je ne veux donc pas ici la paraphraser, mais simplement apporter quelques brèves impressions de lecture, complémentaires et bien personnelles.
De tous les livres de l’auteur que j’ai lus, celui-ci m’apparait, outre son réalisme, comme le plus noir, le plus pessimiste. Non pas tant pour son dénouement tragique en lui-même, et d’autant plus ressenti tel par le lecteur que celui-ci s’est très rapidement identifié aux trois personnages centraux du récit ; non pas tant, également, par la peinture du cortège d’horreurs véhiculées par la dictature impitoyable des « marchés » (le chômage bien sûr, mais aussi la chasse aux immigrés, la négation de la femme en temps qu’objet sexuel ou encore la toxicité létale du racisme) ; mais pour la manière dont ce dénouement s’est tissé progressivement jusqu’à sa conclusion irrémédiable. Pierre Drachline termine sa préface par ces trois lignes optimistes : « Viendra l’aube éblouissante quand naufragés du bitume et exclus de tous les horizons présenteront à qui de droit l’addition de leurs humiliations. Et la fête sera belle... » Ô combien en effet ! Sauf que si cette prévision correspond tout-à-fait aux convictions connues de l’auteur du livre, elle n’est nullement explicitée dans celui-ci : au contraire le personnage principal, Brice Beaulieu, est finalement horriblement broyé, et avec lui, cette histoire d’amour toute neuve pour Coryse Dartois qui illumine provisoirement la seconde partie du récit. Histoire d’amour qui aurait pu laisser espérer au lecteur une tout autre issue. Mais non ! D’ailleurs les avertissements à celui-ci, s’il est attentif, ne manquent pas tout au long du récit : est-ce un hasard si le mot « tombe » revient obsessionnellement dans le texte : c’est la tombe du père de Brice, c’est aussi celle du mari de Coryse Dartois, et c’est aussi dans un cimetière que s’initie cette histoire d’amour. Bref, la mort...Jusqu’aux circonstances dans lesquelles Brice est victime d’un crime raciste commis par « méprise » par un groupe d’extrême-droite, confondu avec le personnage de François dont il avait revêtu le blouson : François, unS.D.F. vendeur de journaux, cultivé et chantre de Villon, porteur des idées de résistance et finalement de conscience de classe, vaguement anarchiste et au patronyme...russe ! Tout un symbole dans cette fin. C’est incontestablement rude, très rude, mais, à mon sens, non désespéré.
Un mot encore relatif au personnage de Coryse Dartois, tellement humain. Elle est une nouvelle illustration de la place centrale que tient la - les femmes dans l’œuvre de Valère Staraselski. Aura- t’on remarqué que c’est elle qui tient la barre lors de la ballade qu’elle fait sur le lac avec Brice ? L’avenir de l’homme...comme a dit Aragon. Jusqu’à la marâtre de Brice qui n’est pas sans rappeler celle de « Nuit d’hiver » et dont le personnage permet, à nouveau, de soulever la question vitale des rapports mère- enfant.
Bref, une nouvelle fois, un ouvrage à lire, et aux lecteurs d’en tirer éventuellement, au-delà de leur affect, des enseignements.
Vincent Ferrier, Chemins de Traverse,
18 août 2011