Valère Staraselski

Une Histoire française, Paris, janvier 1789
Vincent Ferrier - "Une histoire française"
octobre 2011

Une éblouissante plongée d’une vingtaine d’années dans la France et surtout le Paris prérévolutionnaires en cette fin du XVIIIème siècle ! Grâce à sa plume alerte, sous la forme d’un récit fictionnel et ô combien vrai, l’auteur nous fait revivre et surtout reconnaitre les affrontements de classe qui ébranlent quasiment toutes les couches sociales du moment. Un véritable choc plus ou moins souterrain de plaques tectoniques qui annonce les éruptions et les séismes de 1789. On savait déjà que la question centrale de la Révolution française est celle de la propriété des moyens de production (comme pour toute révolution), principalement, dans les conditions de l’époque, la propriété terrienne. Mais c’est un vrai plaisir que de redécouvrir cette donnée essentielle sous cette forme narrative.

On est frappé de la contemporanéité de bien de ces affrontements sociaux, économiques ou politiques. Déjà le libéralisme occupe le haut du pavé ; déjà, au plan de la lutte idéologique, il ferraille avec l’humanisme (Voltaire, Diderot). A ceci près tout de même, par rapport à notre époque, que le libéralisme d’alors avait une visée objectivement progressiste dans la mesure où il était la condition de l’essor des forces productives et finalement des connaissances. Manifestement l’auteur a beaucoup utilisé, et avec succès, le précieux ouvrage de Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris. Singulier personnage que cet auteur dramatique à succès capable de brosser une définition étonnante de lucidité du capitalisme, du capitaliste et de la spéculation financière à outrance et de ses ravages, citée dans Une histoire française (p.237), qui rejoindra ensuite le clan des anti-Robespierre pour survivre par miracle à la Terreur, qui demeurera républicain face à l’Empire tout en combattant tout ce qui était progrès des connaissances et artistiques... Valère Staraselski a bien capté toute la complexité sociale de ces années prérévolutionnaires : c’est ainsi que tout en démontrant que, pendant cette période, l’essentiel des mouvements de mécontentement, sinon de révolte populaires fut le fait de couches rurales provinciales, il a su déceler les premières tentatives revendicatives ouvrières parisiennes, embryonnaires certes mais annonciatrices des bouleversements industriels du 19ème siècle, dans ce Paris où le luxe insolent côtoie la misère la plus noire, ainsi qu’en témoigne la quantité effrayante de suicides, notamment chez les femmes. Et que dire du foisonnement des idées modernes relatives aux sujets les plus divers (l’anti-esclavagisme, la laïcité de l’enseignement, etc...) ou de l’essor des connaissances scientifiques et techniques. C’est ainsi, par exemple, que le lecteur découvrira avec stupéfaction sans doute, que Louis XVI et ses deux frères eurent l’intuition géniale (bien longtemps avant Pasteur !) de la vaccination antivariolique...en l’expérimentant sur leur propre personne !

Mais Une Histoire française n’est pas que la chronique historique d’une société où tout bouge. Elle est aussi la narration intimiste d’une trajectoire individuelle, celle d’un jeune avocat Marc-Antoine Doudeauville, narration qui est le prétexte pour l’auteur à développer certains thèmes qui lui sont chers et qui, loin d’être artificiellement plaqués sur l’environnement social et politique du moment, sont parfaitement interpénétrés avec celui-ci. Si Marc-Antoine Doudeauville décide d’être avocat, et avocat des pauvres, c’est qu’il lui faut donner un sens à son existence. « On croit se soutenir seul -affirme-t’il- or il n’en est rien ; On ne peut vivre sans autrui...je savais désormais que se tenait là, dans les autres, le cœur du cœur de la vie. De toute vie ! Malheur aux époques où la solitude serait le lot, commun ! ». En ces quelques mots simples tient toute la conception humaniste de l’auteur, qui parcourt l’ensemble de son œuvre tel un fil rouge. Il ne s’agit pas ici de simple générosité congénitale : (P 145, une phrase-clé exprime la nécessité consubstantielle à l’être humain de l’altruisme : « Un désir qui ne tient pas compte de l’autre s’annule dans la répétition, alors que toujours l’expression désirante de l’autre, son accomplissement, est là qui, au contraire, à la fois le déroute et le régénère. ». Sans l’avoir cherché, sans doute, Valère Staraselski rejoint là, d’une façon tout à fait inattendue dans le cadre d’une telle entreprise romanesque, une des thèses fondamentales de Darwin, développée dans son œuvre majeure La filiation de l’Homme, selon laquelle l’acquisition et le développement spécifique de la capacité à l’altruisme par l’espèce humaine à l’issue du long processus évolutif animal lui a conféré un avantage sélectif décisif sur les autres espèces.

Autre thème très prégnant dans cette Histoire Française, et récurrent chez l’auteur : les rapports intimes que chaque individu entretient en permanence, inéluctablement toute sa vie durant, avec son enfance, celle-ci fût-elle lointaine. Surtout quand celle-ci fut perturbée, sinon ravagée, par l’absence de l’environnement affectif habituel, surtout maternel (voir à ce sujet les lignes très fortes écrites sur cette question P. 322). Il est remarquable d’ailleurs que les personnages centraux de trois des principaux romans de l’auteur (la présente Histoire française, Nuit d’hiver et Dans la folie d’une colère très juste ) soient confrontés à ce genre de situation. Un détail curieux mais significatif : est-ce par hasard si le patronyme de la mère du jeune avocat, qu’il n’a jamais connu car morte en couches, est le même que celui du personnage central de « Dans la folie... », le jeune Robert Perrault et donc, possiblement, de la mère de celui-ci qui en fut lui aussi de fait privé, mais pour de toutes autres raisons ? On sait que Valère Staraselski est un des spécialistes les plus autorisés d’Aragon : on ne peut donc s’empêcher de rapprocher la question de la quête lancinante de ses origines et donc de sa personne qui tient la place que l’on sait dans le vécu l’imaginaire aragoniens, de ce thème récurrent dans l’œuvre de Staraselski et certainement dans la vie elle-même de l’auteur.

Une ultime remarque, relative à l’écriture et à la facture du roman. « Il tombe de la neige en prodigieuse quantité » : ainsi s’ouvre celui-ci. A cet incipit riposte un éclatant desinit « Oui, ça brûle, répondit Maisonseule. Une belle flambée même ! Tu peux me croire ! » ; tout un symbole prometteur...Une fois de plus, Valère Staraselski a recours à la technique du mélange des temps, des époques, des durées, il les alterne, les fait se succéder sans préavis ; ici, le récit de 20 ans de la vie Marc-Antoine Doudeauville est concentré en 7 jours de temps réel, celui de la dictée de ses mémoires. Le procédé est efficace et ancre davantage le lecteur dans ce prélude à la Révolution.

Vincent Ferrier - Chemins de traverse - 2011

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions du cherche midi de Sur les toits d’Innsbruck, L’Adieu aux rois, Le Maître du jardin, dans les pas de La Fontaine,
Nuit d’hiver
Une Histoire française, recommandé par Historia,
Un homme inutile, Monsieur le député.

Aux éditions De Borée, en format de poche Nuit d’hiver,
Une histoire française.

Aux éditions Seuil Jeunesse La jeune fille au ruban, illustration Anne Buguet.

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions de L’Harmattan de Dans la folie d’une colère très juste.