Le Parlement des Cigognes : un roman nécessaire et très émouvant de Valère Staraselki en Pologne et la complicité de beaucoup de Polonais dans cette extermination, cette plaie ouverte et secrète de beaucoup d’entre nous, cette manière de ne pas pouvoir être de son pays, c’est aussi ce que je tente d’élucider avec Monika.
Ce n’est pas la première fois que Valère Staraselski, spécialiste amoureux deLouis Aragon (lire son très beau Aragon : La liaison délibérée chez L’Harmattan), auteur d’une très belle histoire subjective de La Fête de l’Humanité, comme un air de liberté (La fête de l’Humanité. Comme un air de liberté, 2015), se frotte à l’écriture romanesque sur la mémoire et l’histoire : L’Adieu aux rois (2013, cherche midi), nous replongeait dans la France révolutionnaire de 1793 jusqu’à la chute de Robespierre en janvier 1794, Une histoire française se situait en 1789 juste avant la Révolution Française, Le maître du jardin faisait de Jean de La Fontaine un fabuleux personnage romanesque.
Je ne saurai trop vous recommander ma lecture d’hier, Le Parlement des Cigognes, de Valère Staraselki.
Le livre doit son titre à une peinture classique représentant des Cigognes se désaltérant et se reposant auprès d’un étang que l’on trouve au musée de Cracovie et autour de laquelle vont se rencontrer des jeunes français et Zygmunt, un vieil israélien rescapé du ghetto de Cracovie, revenu pour la première fois d’Israël depuis 1946.
C’est un roman économe, court, et bouleversant.
Le lecteur est amené à s’identifier à ces jeunes français qui viennent faire un séminaire de stage d’entreprise à Cracovie, l’un d’entre eux, David, connaissant l’histoire atroce des juifs de Cracovie, 25% de la population, exterminés dans le ghetto de Podgorze, fermé en 1943, puis dans un camp d’extermination dans la ville elle-même, à Plaszow, aujourd’hui encore très peu identifié par la municipalité de Cracovie, ou à Auschwitz. Les jeunes gens, avant de rencontrer ce vieux rescapé de la Shoah au musée des Beaux Arts de Cracovie vont longer les lieux aujourd’hui non identifiables et non signalés du calvaire de dizaines de milliers de juifs de Cracovie en faisant un footing sur les pourtours de la ville, qui furent il y a 75 ans l’enfer dont parle « La liste de Schindler », de Steven Spielberg, et dont David laisse échapper quelques scènes d’atrocité ordinaires, avec notamment les caprices de psychopathe du commandant du camp, Amon Göth.
Mais le récit prend toute sa dimension tragique, onirique et poignant avec le récit du vieux survivant de la Shoah au musée et à l’aéroport de Cracovie, récit de son évasion d’un wagon à bestiau le conduisant vers la mort, de sa traque par des paysans polonais antisémites voulant le tuer, le rendre aux Allemands, ou le dépouiller, ou encore par des partisans de droite polonais de l’AK, qui n’hésitaient pas à assassiner les juifs fugitifs eux aussi dans les bois, les champs, et leurs cachettes de fortune. Récit d’une survie quasi animale de bête traquée dans la nature d’un adolescent qui fuit une humanité devenue indifférente, cruelle, et dangereuse. Zygmunt raconte aussi comment les lynchages, les pogroms, les assassinats de juifs, couverts ou organisés par l’armée polonaise de l’intérieur (partisans de droite de l’AK, Armia Krajowa), les gendarmes polonais, les scouts catholiques et la population où l’antisémitisme restait très présent en dépit de quelques actions solidaires isolées de « justes », ont continué jusqu’en 1946. Là, Valère Staraselski éclaire très utilement des passages moins connus de l’histoire qui mettent en relief le poids de l’antisémitisme et de l’antijudaïsme dans la société polonaise, et la multiplicité des crimes et complicités de crime contre l’humanité auquel cela a conduit pendant la période de la guerre, qui a également été terrible pour l’ensemble de la population polonaise, évidemment.
De quoi aussi porter un éclairage dans la profondeur historique sur la résurgence du nationalisme d’extrême-droite en Pologne aujourd’hui.